Z Q S D

Malgré tout ce que les gens que je fréquente peuvent penser, je suis quelqu’un d’assez secret. Je bavarde souvent des choses qui m’intéressent, mais je n’explique jamais vraiment mes passions parce qu’elles m’obligent souvent à révéler un peu de ma vérité.

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Ma vérité, elle est ailleurs. Elle s’efface du réel pour plonger dans un monde fantastique que j’ai créé au fil des ans. Cet Atlantide personnel, englouti sous les multiples strates du comportement social, c’est mon imagination.

Très jeune, j’ai commencé à lire, énormément. J’avalais des pages et des pages, engloutissant des yeux les quantités astronomiques d’informations que je rassemblais au fil des textes. Les images se créaient dans mon esprit, et je m’amusais ensuite à reproduire ces images plus tard, lors de rêvasseries diurnes ou nocturnes, et les modifier, les améliorer, les transformer à volonté. Un peu comme un dieu.

Je rêvassais beaucoup (trop, au goût de mes parents… qui ont quand même cru à de l’autisme ou à un problème auditif à une époque, pour dire). La nuit, une fois bordée par maman et les lumières éteintes, je me plongeais aussitôt dans des aventures sans limites de temps ni d’espace, où mon lit devenait le théâtre d’événements dignes des pires scénarios hollywoodiens. Je n’ai jamais eu peur du noir, ni des monstres sous le lit, parce que l’obscurité totale de ma chambre m’autorisait à tout imaginer sans rien voir autour de moi, et les monstres n’étaient que de passage dans des rêves que je contrôlais. La lumière, c’était la réalité. La nuit, c’était mon camouflage. Les peluches qui partageaient ma couette devenaient mes compagnons, mes alliés, mes ennemis et mes amours aussi.

adventuretime

Cette routine nocturne de vivre mes propres films tous les soirs m’ont affligée d’une timidité inexplicable. Loin de ne pas avoir d’amis (je suis malgré tout quelqu’un de très « sociable »), ma timidité s’exprimait dans cette constante rêverie. En classe, je finissais mes exercices avant tout le monde pour avoir le temps d’esquisser mes aventures sur papier (à ceux qui m’ont demandé comme j’avais appris le dessin, maintenant vous savez). Je ne faisais que perpétuer mes fantasmes de grandes aventures. Je me rêvais grande et jolie et vivante et courageuse comme jamais. Je n’étais qu’une gamine de 9-10 ans, mais je voulais déjà être quelqu’un d’autre, vivre des choses dont je savais déjà qu’elles ne m’arriveraient jamais.

Tout cela s’est empiré à l’adolescence. Je ne suis pas sure d’avoir besoin de donner des détails. Les boutons, l’appareil dentaire, le repli sur soi, les évasions imaginaires qui mûrissent et qui passent d’Adventure Time à Tomb Raider starring Lara Croft. Et le voilà. Le sujet sur lequel je voulais vous emmener. Avant, il y avait la lecture. Après, il y a eu l’ère numérique.
Une information capitale : mon père était informaticien. Oui, juste informaticien, il n’était pas web développeur ou spécialiste de tel domaine spécifique de l’informatique. Il faisait un peu de tout, il tatait des machines, à une époque où avoir un pc était encore signe de richesse et pas tout à fait une nécessité. D’aussi loin que je me souvienne il y a toujours eu des ordinateurs dans ma vie (généralement des Mac parce que mon père… hm hm *tousse* macfag *tousse tousse*). Les jeux étaient encore rares et les sorties Mac n’arrivaient qu’un à deux ans après la sortie officielle d’un jeu. Mon oncle, lui aussi informaticien, était pour le coup plus « conventionnel » et gardait 3 à 4 Windows constamment allumés dans le sous-sol de chez mes grands-parents. J’y ai fait mes premières armes.

Instant rétro moche : lancez donc ça avant de lire la suite.

J’observais d’un oeil vaguement intéressé mon père et ses deux frères enchaîner des parties endiablées de Warcraft: Orcs and Humans après deux heures à déterrer des câbles épais comme mon bras pour une partie en réseau. Je me souviens d’un de mes tout premiers jeux, Little Big Adventure, dont la musique restera à jamais gravée dans ma mémoire. Je me souviens de mes découvertes hasardeuses, de l’incroyable quantité de jeux cultes qu’avait dégoté mon oncle (aujourd’hui rangés par les amateurs sur la précieuse étagère du rétro-gaming), du jour où j’ai inséré pour la première fois le CD d’une version piratée de Tomb Raider, du désespoir devant mon groupe de péquenauds (soigneusement choisi sur des critères uniquement esthétiques) qui se faisait massacrer dans les premières minutes de Icewind Dale. Ces parties de Carmageddon sur les genoux de mon oncle, où on riait aux éclats quand j’écrasais des gens dans mon bolide tout défoncé. Et ce superbe coffret de Myst que je n’ai jamais osé ouvrir, tel une boîte de Pandore rangée dans un coin et entourée d’une aura mystique que je ne saurai jamais expliquer.

De ces premiers émois vidéo-ludiques, j’en ai gardé une trace indélébile qui me poursuit jusqu’à aujourd’hui pour me hanter au quotidien et devenir presque… vitale. En grandissant, le jeux devenant plus accessibles, ma passion pour la littérature a commencé à laisser peu à peu place à cet imaginaire plus mature qui m’avait happée dans les jeux vidéo. Ce besoin de plus en plus fort de vivre des choses extra-ordinaires me poussait toujours plus à m’impliquer dans ces jeux qui finalement m’offraient sur un plateau tout ce qui me demandait jusque là une sorte d’effort mental. Un rôle, une histoire, un paysage.

Je pense que progressivement, quelque chose de bon s’est produit à travers mon amour du jeu vidéo, et à l’inverse quelque chose de très mauvais. La bonne chose, c’est que j’ai réussi à contenir cet imaginaire inépuisable et parfois très encombrant pour le reste de mes activités. J’ai tout canalisé dans les jeux, et bien qu’en y jouant finalement assez peu (pas de console à la maison, ordinateur accessible sous réserve de l’accord de l’Autorité Parentale), j’avais trouvé une autre manière de vivre mes milles autres vies, et ça a beaucoup joué sur mon équilibre. Sans celà je serais probablement devenue une fille frustrée et désabusée par le seul et unique monde dans lequel elle vit.

La mauvaise chose, c’est qu’en grandissant et gagnant en accès aux jeux vidéo, j’ai perdu beaucoup du reste. Je ne rêvasse plus le soir dans mon lit. Je n’arrive plus à m’imaginer sur les sommets de l’Himalaya avec mes 9mm et une armée de démons à combattre pour ensuite rejoindre mon amant super-héro et partir dans le coucher de soleil. Je ne vis plus qu’à travers des réminiscences de jeux vidéo usées jusqu’à la moelle. Je suis toujours moi, mais ce n’est plus qu’un substitut d’imaginaire dans lequel j’évolue lors de mes rêvasseries. Peut-être aussi que l’âge et la maturité y a joué. img-142891-1353948620Voyez, aujourd’hui mes rêves se partagent entre cauchemars de dettes bancaires, de mariage et de disputes familiales. On passe d’Hollywood à la comédie-dramatique de Philippe Lioret.

Et me voilà du haut des mes 21 ans, bel et bien accro, complètement enfoncée dans cette double vie que je partage entre nos rues bétonnées et les toits d’une Venise sous la Renaissance. La vie a plus de saveur quand on évolue ailleurs, la beauté a plus de sens dans d’autres paysages, même tout de pixels vêtus. Le coeur bat plus fort aussi, surtout quand IRL l’activité la plus risquée consiste à sortir ma carte bleue chez Casino.
Je vous en parlerai, de ces jeux qui m’ont marquée et peut-être aussi changée. Mais pour l’instant je m’en retourne rêver, le bout des doigts bien en place au dessus du grand code secret : Z, Q, S, D.